J’ai longtemps été misogyne (mais pas raciste ni homophobe)

1989. Je revois parfaitement la scène. Nous dînons en famille et j’explique à mes parents que les femmes sont des grosses nulles. Mes parents, amusés : « Ah oui ? Explique donc nous ça Attila. » (oui, mon grand-père m’avait surnommée  Attila, allez savoir pourquoi). Moi, surprise que mes parents n’aient jamais fait ce constat si évident alors que du haut des mes 11 ans j’avais déjà compris ça : « Ben oui ! Vous en connaissez beaucoup des femmes présidentes ? des femmes importantes ? des rues qui portent des noms de femmes ? même quand il s’agit d’un domaine dans lequel elles sont sensées être bonnes - la cuisine - et ben même les grands Chefs sont des hommes ! Alors ? Alors ? C’est pas LA preuve que j’ai raison ?!! ».

Ce que j’avais surtout compris c’est que plus on s’élevait dans l’échelle sociale, moins il y avait de femmes. Mais à l’époque, en France et dans mon milieu de bourgeois parisiens on n’expliquait pas aux petites filles ce qu’était le plafond de verre. On ne connaissait même pas l’expression.

Déçue de faire partie de la catégorie des nulles j’ai grandi en nourrissant l’intime conviction que j’étais une erreur génétique, que j’aurais du être le fils de mon père, la digne descendance des Cousteau. Malheureusement j’étais passée à un chromosome Y près de devenir moi aussi un jour un grand homme. Parfois le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, too bad for me. Alors je m’entrainais à faire pipi debout et je jouais les garçons manqués dans la cour de récré. Et j’ apprenais par coeur le poème de Kipling. Un jour tu seras un homme ma fille.

 

A 14 ans je comprends qu’on peut obtenir beaucoup de choses en papillonnant des cils et avec un décolleté. Attila se transforme donc en Betty Boop hyper sexualisée. Abracada-moi ! 

Comme je suis un mec dans un corps de femme, je n’ai peur de rien et - comme un mec - je ne pense qu’à une chose : coucher. C’est à ce moment là que ma cousine que je considère comme ma soeur veut me mettre en garde contre les hommes. Notre professeur de golf l’a violée il y a 3 ans. Si on m’a retiré des cours de golf c’est parce que j’étais la prochaine sur la liste. Je me rappelle alors qu’il me tripotait pendant nos cours particuliers. J’avais 11 ans et elle 14. 

 

A 15 ans je suis invitée à dormir chez des amies, deux soeurs jumelles qui vivent seules avec leur père dans le 16 arrondissement de paris, leur mère est morte il y a des années. A peine arrivée chez elles, le père s’arrange pour les envoyer chacune à leur tour faire des courses. Seule dans l’appartement avec lui il me coince contre le mur, essaie de m’embrasser et m’annonce que ce soir il viendra me voir. Terrorisée je ne vois pas d’autres solutions que de dire la vérité à mes copines. Elles sont embêtées parce que ce n’est pas la première fois que leur père fait ça. Elles se colleront à moi toute la nuit pour me protéger. Le lendemain je rentre chez moi en courant. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles d’elles.

 

A 16 ans nous sommes quatre copines à Royan et nous faisons de l’auto-stop pour aller à la plage de Saint-Palais qui se trouve à 7 km. Un type blanc bedonnant la quarantaine nous prend dans sa voiture. Il s’arrête dans la forêt en bordure de la nationale et nous ordonne de le sucer. Nous nous enfuyons en traversant la nationale en courant.

A 17 ans je suis avec ma meilleure amie sur les Champs Elysées pour célébrer le réveillon du 31 décembre. Des racailles nous coincent contre une porte cochère et commencent à nous toucher, à passer leurs mains sous nos jupes. Nous hurlons. Il y a une foule de dingue mais personne ne nous entend, personne ne fait attention à nous. Nous hurlons et nous débattons le plus fort que nous pouvons. Les types finissent par nous laisser. 

Alors on peut se dire que je n’ai pas eu de bol. De croiser la route de tout ces tarés. Mais la vérité c’est que je fais partie des chanceuses. Parce qu’en France 1 femme sur 5 est victime de viol. Et ce chiffre me rend folle. Parce que j’ai toujours eu un sens aigu de la justice et de l’empathie. Tu touches à une de mes soeurs, je souffre. Et je suis en colère. Et je veux comprendre ce chiffre. Je veux comprendre comment on en est arrivé là. Et je me pose la question : s’il y a 1 de mes copines sur 5 victime de viol, combien de mes copains sur 5 est le violeur ? Et il y autre chose que je ne comprends pas : pourquoi mes amis mecs ne sont pas autant en colère que moi, ce sont leurs soeurs à eux aussi. Pourquoi cette indifférence ? 

Alors je me renseigne, je me documente, je me « passionne » pour le sujet. Je lis (entre autres) « Le livre noir des violences sexuelles » de Muriel Salmona qui devient ma bible en la matière. Et puis je tombe sur l’excellent documentaire de Patrick Jean « La domination masculine ». Et là tout s’éclaire. Et je finis par comprendre que tout cela n’est que la conséquence de la société patriarcale dans laquelle nous vivons. Et que ça commence au berceau. T’es une fille ? Tu porteras du rose, tu vas commencer par apprendre à pouponner, à développer le plus tôt possible ton sens du dévouement, à t’occuper des autres et à faire la dinette. T’es un mec ? Toi tu vas au rayon bleu, et tu vas t’amuser soit à conquérir le monde avec des gros bolides et des navettes spatiale, soit à le détruire avec des pistolets et sabres laser. Et comme de par hasard le hasard, c’est vers l’âge de 6 ans que les petites filles commencent à perdre confiance en elles. Ah, et puis quoi que vous fassiez, plus tard à compétences égales vous ne serez pas payé.e.s pareil. Toi la fille tu gagneras 26% de moins. Pourquoi ? Parce que t’es une fille. Et puis parce que tu vas enfanter aussi. Et ouais, ça se paie. 

 

Et plus je me documente, et plus je deviens féministe.  Pas parce que je suis une femme et que je prêche pour ma paroisse. Parce que je crois en l’égalité. Quand j’avais 7 ans le racisme me rendait dingue. Pas parce que j’étais noire, parce que je croyais déjà en l’égalité. Plus tard l’homophobie m’a rendue dingue aussi. Pas parce que je suis lesbienne, parce que je continue de croire en l’égalité. Je suis devenue féministe pas parce que je suis Contre (les hommes, les soutiens-gorges, le maquillage). Je suis devenue féministe parce que je suis Pour (la liberté, l’égalité, la sororité). J’essaie alors de sensibiliser tous mes amis mecs, mes potaux, mes frérots, ceux qui m’appèlent leur soeur. Mais je me rends compte que non ça leur en touche une sans faire bouger l’autre. Non seulement ils s’en branlent, mais je réalise que le qualificatif féministe n’est pas un compliment. Que c’est limite un gros mot. Et pourtant d’après ce que je lis et comprends c’est une affaire d’hommes aussi. Le problème ne vient pas de la femme qu’on viole mais de l’homme qui la viole non ? C’est donc une fucking men issue

 

A propos de l’indifférence des hommes, je suis en total accord avec Eve Ensler quand elle dit « Je ne crois pas que tous les hommes sont des violeurs. Je ne crois pas que la majorité d'entre eux soient violents. Ce qui me met en rage, ce qui m'indigne, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi les hommes bons ne se lèvent pas pour dénoncer l'oppression et le dénigrement dont les femmes font l'objet : il s'agit de leur épouse, de leurs filles, de leurs amies, de leurs grands-mères. Pourquoi ne sont-ils pas aussi fâchés que nous ? S'ils l'étaient et s'ils prenaient la parole pour le manifester, les choses progresseraient beaucoup plus vite. »

Optimiste pour l’avenir. 

Ce qui me rassure c’est qu’aux Etats-Unis on voit de plus en plus d’hommes féministes élever leurs voix. Des HeForShe, des Tony Porter, des Jackson Katz, des Barack Obama,. Alors je garde espoir, je me dis que si c’est la mode aux States, ça ne devrait pas tarder à arriver ici. J’ai hâte de voir les hommes se lever à nos cotés, s’engager pour l’égalité, inventer un nouveau modèle de virilité. Je me dis que s’il y avait plus d’hommes à nos côtés pour l’égalité, ce serait vraiment pas mâle.

 

Clemence Cousteau alias Captain Sheroe